A l’Est rien de nouveau.

Quelques-uns d’entre vous expriment leur inquiétude concernant le conflit Cambodio-thailandais. En effet, depuis quelque temps il y a des tirs à la frontière et des morts sont à déplorer de chaque côté. Je vais essayer de vous expliquer ce qui se passe, ou du moins ce que j’en comprends.

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D’abord, rassurez-vous, nous allons très bien et presque rien dans la vie quotidienne ne témoigne de la tension actuelle (si ce n’est les journaux et les mobilisations comme celle du beau-frère de Sophal qui est maintenant retourné dans sa famille).

Alors de quoi s’agit-il ?
La Thaïlande dispute au Cambodge sa souveraineté sur les ruines d’un temple khmer du XIe siècle perché en haut d’une colline : le Preah Vihear.
A ce qu’il paraît (nous n’y sommes pas encore allés) c’est un site absolument remarquable. Le Temple domine la plaine du haut de ses 525 m. Son site exceptionnel explique peut-être pourquoi plusieurs rois Khmers ont travaillé à son érection et à son embellissement.
Le site a été classé à l’unanimité au patrimoine mondial en 2001 par l’UNESCO.

Pour bien comprendre le problème il nous faut faire un peu d’histoire.
A son apogée (vers 1000-1300) l’empire khmer couvre outre le Cambodge actuel mais aussi la Thaïlande, le Laos et le delta du Mékong. L’arrivée de populations nouvelles provenant de Chine du Sud (notamment les Thaïs, et les Laos), des querelles dynastiques incessantes et peut-être aussi, un dérèglement climatique (déjà !) sont à l’origine du déclin de l’empire. Quand les Français arrivent vers 1850, le Cambodge n’est plus qu’une peau de chagrin. Il se fait grignoter à l’Est par les Vietnamiens et à l’Ouest par les thaïs.
Aussi les rois sont bien heureux d’accepter le protectorat français qui leur assure la survie de leur pays. Il m’est d’avis que si nous n’étions pas intervenu, le Cambodge aurait cessé d’exister ( l’Est du Mékong au Viets, l’Ouest aux Thaïs).
En 1907 nous faisons même une petite guerre au Siam (la Thaïlande de l’époque) qui permettra au Cambodge de récupérer trois provinces (Siem-Reap, Battabang et Sissophon). Il est convenu que la nouvelle frontière sera déterminée par la ligne de crête des monts Dângrêk, ce qui place le temple du coté siamois. Le tracé des cartes est confié à la France, puisque ni le Cambodge, ni le Siam n’en ont les moyens techniques. Or sur les cartes fournies par les Français la frontière suit clairement la ligne des crêtes sauf sur le Preah Vihear où elle la quitte formant ainsi une quasi-enclave Cambodgienne en territoire thaï. Malgré cela, les cartes seront reconnues et utilisées par le Siam ; ce sera le fondement du jugement du tribunal international saisi par le Cambodge en 1962 et qui tranchera le conflit frontalier en sa faveur.
Les thaïlandais argumentèrent que le tracé des cartes ne correspondaient pas aux accords initiaux, rien n’y fit.

monument commémoratif du traité franco-siamois de 1907 visible sur le Wat Phnom à Phnom Penh.

Depuis, ce temple est un poil à gratter dans les relations entre les deux pays. Il fut déjà occupé par l’armée thaïlandaise, puis évacué et des combats sporadiques se sont déjà produits il y a quelques années.

Pour ma part, il me semble évident que si la tension se ravive actuellement c’est uniquement du à la situation politique intérieure thaïlandaise. Le gouvernement, issu d’un coup d’état, se trouve toujours en face d’une forte opposition (les chemises rouges) qui réclame le retour de l’ancien premier ministre (Taksin, que les militaires avaient renversé pour corruption).
Je vois surtout dans l’agitation frontalière, l’expression d’un régime qui essaie de détourner le mécontentement d’une partie de sa population sur un sujet extérieur.
Quand nous étions en Thaïlande, nous avons senti une réelle animosité. Il suffisait que je dise que je vivais au Cambodge pour que beaucoup de visages se ferment. Il y en a même un qui a clairement exprimé son animosité en mimant un égorgement avec un mouvement du pouce sur son cou.

Alors comment ça va évoluer ?
Rappelons que pour nous, la situation est NORMALE, Olivier est arrivé sans souci avant hier depuis la Thaïlande. La frontière n’est pas fermée ni pour les personnes, ni pour les marchandises. L’ambassade de France conseille simplement à ses ressortissants de ne pas se rendre dans la région du temple.

L’affaire se tassera quand les thaïlandais le voudront. Ce sont eux qui mènent le jeu. Et comme je l’ai déjà dit, je pense que le problème vient avant tout de la politique intérieure thaïlandaise.
Pour l’instant, pas de solution en vue à la crise.
Je pense qu’elle dégénèrera quand le Roi (83 ans et 64 années de règne) que les thaïlandais vénèrent décèdera. Son successeur aura-t-il assez d’aura pour éviter sinon une guerre civile du moins des mouvements très violents ? Le gouvernement en place alors, n’aura –t – il pas besoin à ce moment-là d’une « bonne guerre » pour mater son opposition ?
Voilà mes craintes.

C’est quand même très con pour ces pauvres types qui se font dessouder à la frontière et qui ne sont peut-être pas tous conscients des raisons cachées qui font qu’ils crèvent les tripes à l’air en appelant leur mère.

Posté le 10 février 2011 par dans Cambodge, Thaïlande